Des sociétés de négoce suisses sont accusées d’exporter en Afrique des carburants toxiques. Cette mise en cause vient de l’ONG Public Eye, anciennement connue sous le nom de « Déclaration de Berne ». Public Eye, dont le siège est à Lausanne, a publié hier un rapport de 160 pages dénonçant la vente en Afrique par ces sociétés suisses de carburant à haute teneur en soufre.
Public Eye a prélevé des échantillons à la pompe dans 8 pays du continent: l’Angola, le Bénin, le Congo Brazzaville, la Côte d’ivoire, le Ghana, le Mali, le Sénégal et la Zambie. Ces prélèvements analysés ont révélé que la teneur en soufre des carburants est jusqu’à 378 fois supérieure à la teneur autorisée en Europe.
Le maximum de concentration a été détecté au Mali, dans une station de pompage d’Addax & Oryx. Ces carburants, ajoute Public Eye, contiennent en outre d’autres substances nocives, telles que le benzène à des « niveaux généralement interdits par les normes européennes ».
Selon l’ONG, les sociétés Vitol, Trafigura et Addax & Oryx « profitent » de la faiblesse des normes légales africaines pour y vendre des carburants de mauvaise qualité et « réaliser des profits au détriment de la santé de la population africaine ».
Ce rapport, intitulé « Dirty Diesel », est le résultat de 3 ans d’enquête selon Public Eye, pour qui « les négociants suisses inondent l’Afrique de carburants toxiques ». Selon l’ONG ces carburants très polluants sont principalement produits aux Pays-Bas et en Belgique.
Pour les responsables de l’enquête Public Eye, cette vente de « carburant toxique » est « légale », car elle profite de la faiblesse des législations des pays africains. En revanche, explique-t-il, ces entreprises ont l’obligation de se conformer aux principes directeurs des Nations unies en matière de santé publique.
Marc Gueniat est responsable des enquêtes chez Public Eye et auteur principal de cette enquête :
« On a constaté que les négociants suisses ,les grands, étaient en train de racheter à grande échelle des réseaux de stations services en Afrique. Et là on a tout de suite émis l’hypothèse que ce serait peut-être pour écouler des produits de mauvaise qualité sur le marché africain. Ce que nous qualifions d’illégitime est légal, il faut le dire. Ce qu’on peut dire en revanche c’est de se référer aux principes directeurs des Nations unies : les entreprises doivent respecter les droits humains. Même si le cadre légal est trop faible pour protéger les droits humains, donc le droit à la santé, elles doivent imposer un standard elles mêmes plus élevé. Malheureusement on constate que dans le domaine du carburant que c’est pas le cas.
Je pense que les négociants suisses ou tout acteur qui occupe une position dominante dans cette chaîne devrait prendre beaucoup plus de responsabilités, surtout que ces sociétés font la promotion de la qualité de leur carburant. Je pense aussi que les pays européens d’où sont exportés ces carburants devraient interdire l’exportation, parce qu’il est illégitime qu’un pays se dote de réglementation stricte pour préserver la santé publique dans son pays et en même temps tolérer en son sein de vendre des produits vendus ailleurs dommageables à la santé ».
L’Office national des produits pétroliers dément ces informations et estime que ce rapport est « caduc ». Selon les responsables de l’ONAP, depuis janvier il n’ y a plus de vente de carburants frelatés au Mali. Selon son directeur, l’ONAP aurait augmenté les droits sur le pétrole pour empêcher le mélange de celui-ci avec de l’essence.
Zoumana Mory Coulibaly directeur de l’ONAP joint au téléphone par Sékou Gadjigo :
« Ce sont des fausses déclarations qu’ils font. Nous, nous sommes chargés du contrôle de la qualité de ces produits. Dans le temps il y avait du frelatage de l’essence. Les gens achetaient du pétrole et le mélangeaient avec de l’essence parce que le pétrole était subventionné presque par l’État malien. Mais nous nous sommes rendus compte que le volume de l’importation du pétrole ne coïncidait pas avec la consommation du monde rural. Nous avons ramené les droits du pétrole au même niveau que les droits de l’essence. Aujourd’hui le pétrole coûte plus cher que le super au Mali. Depuis huit mois on a fini avec le frelatage du carburant. On ne le sent plus. Nous faisons des prélèvements mais nous, on ne le constate pas. Le Mali est l’un des rares pays qui inspecte l’ensemble de ces fournitures d’hydrocarbures. Il n’y a pas d’importation d’hydrocarbures qui ne fait l’objet d’inspection par une société agrée internationale ».
L’Association des consommateurs du Mali dit ne pas avoir connaissance du rapport. Elle assure cependant veiller à la qualité des carburants dont certains seraient quand même dans les normes. Les responsables de l’ASCOMA disent avoir demandé aux autorités la mise à disposition de l’ONAP d’un laboratoire mobile d’analyse afin de contrôler les carburants en temps réel.
Makan Fofana, membre de l’Association des consommateurs du Mali :
« Dans notre tâche de tous les jours, nous sommes rappelés tous les jours de la qualité du carburant. Sur ce, le gouvernement même à travers l’ONAP a fait des démarches par apport à cela, région par région. Les résultats ont montré que les groupements maliens aussi bien que toutes les sociétés confondues vendent autant de mauvais carburants qu’autant de bon carburant. Et en fonction de ces résultats on a pris des dispositions. La première disposition qu’on a prise c’est de ramener, par exemple, le prix du pétrole au même niveau que l’essence pour qu’on ne mélange pas les deux. La seconde disposition c’est que le Mali ne dispose même pas de laboratoire d’analyse directement. Donc, ils ont pris l’initiative d’acheter un laboratoire d’analyse mobile. Et nous attendons ce laboratoire ».