Le Mali et le Cameroun décident d’instaurer le visa dans le cadre de la circulation entre les deux Etats. Cette décision, qui intervient après plus de 50 ans de libre circulation, est motivée par « la volonté des deux Etats de mieux lutter contre le terrorisme ». Mais elle suscite des inquiétudes chez de nombreuses organisations de défense des immigrés au Mali.
Pour entrer au Cameroun, un Malien doit désormais avoir le visa. Et vis-versa. 51 ans après, Maliens et Camerounais décident de durcir les conditions d’entrer sur leurs territoires respectifs. Officiellement, les autorités des deux pays expliquent cette décision par « leur volonté » de mieux lutter contre le terrorisme, notamment contre la circulation d’éléments de Boko Haram entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Une branche du Mujao, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, basé dans le nord du Mali, et Boko Haram au Nigeria, pays voisin du Cameroun, ont fait allégeance à l’organisation Etat islamique. Or, expliquent les analystes, pour passer de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale et vice versa, « les combattants de ces deux groupes terroristes utilisent souvent la filière des faux documents ».
L’instauration de visa par les deux Etats « permet donc, selon les autorités, de mieux contrôler les mouvements des personnes » et « d’identifier de futurs candidats au jihad ».
En revanche, selon plusieurs observateurs, « cette décision était attendue ». Car le Cameroun devait respecter des engagements vis-à-vis des autres pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, CEMAC. Au Mali comme au Cameroun, il existe une forte communauté des ressortissants des deux pays.
Pour certains analystes, l’instauration de visa entre les deux pays n’est pas une mesure de sécurité suffisante sur le long terme dans la lutte contre le terrorisme.
Pr. Mamadou Samaké est chargé de cours à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako. Il a été joint au téléphone par Ayouba Sow.
« Les raisons officielles qui ont été évoquées s’inscrivent dans le sens de la lutte contre le terrorisme. Depuis les années 1961, il y avait une convention entre le Mali et le Cameroun qui donnait pratiquement les mêmes droits aux Camerounais au Mali, aux Maliens au Cameroun. La preuve est qu’il y a des médecins camerounais qui travaillent au niveau de la fonction publique malienne. Le fait qu’il n’y avait pas de visa, les camerounais venaient ici, et la légèreté avec laquelle il est possible d’avoir des actes d’état civil au Mali faisait en sorte que ces camerounais pouvaient avoir le passeport malien qui leur donnait la possibilité de séjourner pendant au moins trois mois en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Donc c’est dans le cadre de la lutte contre BOKO Haram, devenu Etat Islamique en Afrique de l’Ouest ,que ces mesures ont été prises. Ça ne constitue pas une avancée. Le terrorisme étant un fléau mondial, si des mesures peuvent être prises pour l’éradiquer, je crois que ça va dans le bon sens. Mais je ne crois pas que ces mesures soient suffisantes sur le long terme pour pouvoir éradiquer le terrorisme ».
La mesure ne laisse pas indifférentes les organisations de défense des droits des immigrés maliens. Selon elles, l’instauration de visa entre le Mali et le Cameroun est, d’une part, « une remise en question d’un acquis des pères des indépendances des deux pays », mais d’autre part « un pas vers le durcissement des conditions des ressortissants maliens vivant au Cameroun ».
Ousmane Diarra, est président de l’Association malienne des expulsés. Il est joint par Idrissa Sako :
« C’est une décision très grave, puisque l’initiative date des premières heures de l’indépendance de nos deux pays. Je pense que nos deux gouvernements ont bien travaillé et la mesure a été jusqu’ici salutaire. Mais vu tout ce que se dit sur la migration aujourd’hui, la politique de migration de l’Union européenne, a beaucoup influencé nos États. Il y a beaucoup de pressions européennes sur la migration, et les États africains ne peuvent que subir. Je pense que le Cameroun et le Mali n’ont pas le choix et ne peuvent que revoir cette convention, sinon tout ce qu’on dit en lien avec le terrorisme, n’est pas vrai. Ce qu’il faut retenir, c’est que la mesure va contribuer au durcissement des conditions des migrants maliens dans les pays d’Afrique centrale et leur établissement. Donc les Maliens qui vivent en Afrique centrale, seront confrontés à des situations difficiles. Je pense que le gouvernement malien et les migrants maliens ont leur mot à dire sur la mesure ».